Les 10èmes Rencontres de la Fondation Louis Bonduelle se sont tenues dans le cadre unique et original du Bain Mathieu, à Montréal le 13 juin 2017. Un lieu exceptionnel pour un événement qui l’est tout autant: dresser un regard croisé sur l’alimentation des Canadiens et des Français. Culture alimentaire, quand tu nous tiens… Quels sont les 4 messages de cet événement?
Les recommandations alimentaires sont en pleine réflexion au Canada, comme en France. Un nouveau Guide pour l’un, de nouveaux repères pour l’autre, mais un point commun: la prise en compte des cultures alimentaires et de la dimension durable de l’alimentation.
Ces notions étaient au cœur des Rencontres de la Fondation Louis Bonduelle, intitulées «Les cultures alimentaires: mutations et perspectives». Quatre orateurs, deux Canadiens et deux Français, ont décrypté les facteurs qui imposent des changements dans nos comportements alimentaires et incitent à repenser les repères de consommation.
L’histoire témoigne du poids des cultures sur l’acte alimentaire
De nombreux facteurs influencent nos comportements alimentaires. En premier lieu, notre passé, l’histoire, l’héritage, la religion… la culture. Dans son discours, Leïa Mion (Laboratoire méditerranéen de préhistoire Europe Afrique, Aix-en-Provence), Prix de Recherche Louis Bonduelle 2015, a pointé le fait que déjà à l’Antiquité et au Moyen-Âge, les choix alimentaires individuels étaient le résultat de contraintes biologiques, socio-économiques et culturelles.
Par le biais d’analyses isotopiques d’ossements humains, Leïa Mion a reconstitué le milieu d’origine des ressources alimentaires ingérées (mer, terre ou eau douce) et estimé la part de protéines animales (poisson et viande, notamment) dans l’alimentation d’individus de douze sites différents du Languedoc et de la Provence (deux régions du sud de la France).
Premier constat: les pratiques alimentaires sont variées, non seulement au sein de la zone géographique, mais aussi entre les individus des populations étudiées. Elles évoluent aussi au cours du temps et des populations inhumées. Cela implique que des traditions culturelles et religieuses, ainsi que des facteurs socio-économiques entrent en considération.
Comment expliquer en effet autrement qu’une seule population côtière étudiée ne mangeait pas… de poisson marin? Cette spécificité pose la question de la dimension culturelle de cette ressource, concluait donc Léïa Mion au terme de sa présentation.
Québec: entre influences migratoires et promenades gourmandes
Christine Jourdan, anthropologue à l’Université de Concordia (Montréal), a particulièrement bien démontré comment l’acte alimentaire, illustré par la préparation des aliments, et donc la cuisine est en lien avec les changements sociaux et culturels. En d’autres mots, la manière de cuisiner fait bel et bien partie d’un héritage, transmis de génération en génération, mais avec des transformations associées aux évolutions de la société.
Ce constat est obtenu à partir de livres de cuisine et d’enquêtes auprès de trois générations de familles montréalaises. Trois indices sont particulièrement marquants:
- l’utilisation des herbes et épices,
- le rôle respectif des hommes et des femmes dans la cuisine,
- et enfin, la mise en scène de l’alimentation dans le domaine public (marchés, festivals, émissions de télévision,…).
Le cas de l’assaisonnement est sans doute le plus illustratif de l’évolution de la société québécoise, déjà un savant mélange entre une base amérindienne et des influences apportées par les colons français, anglais, écossais puis irlandais, et qui est aujourd’hui encore plus diversifié avec l’ouverture du pays au monde (avec des épices asiatiques, nord-africaines…).
Mais les changements se mesurent aussi dans la structure de la prise alimentaire, avec l’entrée massive des femmes dans le marché du travail qui modifie la préparation et la planification, les lieux de consommation, la montée en puissance d’une gastronomie identitaire (illustrée par le succès exponentiel des balades gourmandes) et ce, malgré un temps de plus réduit consacré aux dits repas.
Canada et USA: revalorisons l’alimentation!
Tels sont les mots de Jean-Claude Moubarac, du Département de nutrition de l’Université de Montréal. Sa présentation témoigne surtout du fossé culturel important qui sépare des pays comme le Canada et les États-Unis, avec la France ou l’Italie. Les évolutions sociologiques et le niveau de revenus et/ou d’éducation ne peuvent pas expliquer ces différences notables: les 4 pays ont vécu les mêmes situations et ont des niveaux de vie comparables.
Pour l’anthropologue, c’est la valeur accordée aux aliments, à l’acte de cuisiner et à celui de manger qui est en cause. Là où en France ou en Italie, le repas est un véritable moment de partage et de convivialité, basé sur des plats du terroir avec des aliments frais et minimalement transformés, Canadiens et Américains délaissent de plus en plus la cuisine et ne prennent pas ou peu le temps de manger, en se tournant vers produits ultra transformés.
Des comportements qui ont un impact sur l’état de santé de la population nord-américaine. Jean-Claude Moubarac plaide donc pour un retour de la cuisine pour une meilleure alimentation et prend pour inspiration le Guide Alimentaire brésilien, auquel il a collaboré. Ce dernier propose une vision plus holistique de l’alimentation, avec des recommandations non pas sur des groupes d’aliments, mais sur la manière de s’alimenter et une invitation toute simple: TOUS en cuisine!
Alimentation durable: dans les coulisses des nouvelles recommandations françaises
Marie Josèphe Amiot-Carlin, Directrice de recherche en nutrition à Montpellier, s’est quant à elle penchée sur la construction des nouvelles recommandations du PNNS (Plan National Nutrition Santé, mis en place en France en 2001). De nouveaux objectifs et préférences sont désormais intégrés dans la réflexion.
Premièrement, réduire autant que possible l’exposition aux substances à risque (métaux lourds dans le poisson, résidus phytosanitaires dans les produits végétaux. Deuxièmement, adapter les recommandations pour les rendre réalisables par la population. Ainsi, si le repère «au moins 5 fruits et légumes par jour» a été confirmé, d’autres sont supprimés ou remplacés par des nouveautés, comme le fait de sortir les légumineuses (les légumes secs) de la catégorie des féculents.
L’objectif est d’en faire un groupe à part entière à privilégier (« au moins deux fois par semaine »), pour diversifier les sources de protéines et augmenter les apports en fibres. Une démarche qui prend aussi un autre sens: évoluer vers une alimentation plus durable, en cohérence avec les repères de consommation. Le plébiscite des protéines végétales et l’attention sur la quantité des protéines animales consommées sont une étape, avec aussi l’utilisation de produits bruts, les aliments de saison, les circuits courts et les modes de production respectueux de l’environnement, c’est-à-dire avec une limitation des intrants.
Un objectif réalisable, sans trop s’éloigner des habitudes alimentaires et tout en couvrant les besoins nutritionnels, indique Marie Josèphe Amiot-Carlin.
Jacynthe Lafrenière, lauréate du Prix de Recherche Louis Bonduelle 2017
Pour clore les #rencontresFLB, une jeune chercheuse québécoise de l’Université Laval a été récompensée pour ses travaux par le Prix de Recherche Louis Bonduelle: Jacynthe Lafrenière.
L’objectif de son projet, actuellement en cours, est de développer un outil permettant aux chercheurs et aux cliniciens de classifier les individus en fonction de la qualité de leur alimentation et de leur adhésion aux recommandations nutritionnelles. Toute l’équipe de la Fondation Louis Bonduelle lui adresse ses sincères félicitations!
A télécharger et à venir
Comment «accompagner les mangeurs d’hier, d’aujourd’hui et de demain»? En marge des #rencontresFLB de Montréal, la Fondation a développé un document de synthèse qui vous invite à un voyage de (re)découverte des recommandations alimentaires déclinées dans les deux pays. Un ouvrage pour aller plus loin, largement documenté à télécharger en bas de page ici.
Restez connectés sur #rencontresFLB, nous publierons prochainement les slides des orateurs, des extraits en vidéo, ainsi que d’autres documents pour parfaire vos connaissances sur les cultures alimentaires et leur impact sur nos comportements.